Repaires plus assurés
Un texte de visite épiscopale de Monseigneur Le Camus (1678) évoque un
curé de Clavans se livrant au négoce des cristaux du Haut Oisans.
Avant 1740, le curé du Freney, Jean Blanc, exploite une « fosse de
cristail » à la Loze, en concurrence avec un Giroullet et d’autres
équipes.
Le curé d’Huez, dénommé Culet, appartient à une famille du Rosay de
Maronne s’occupant d’extraction et de négoce des cristaux pour le compte
de Rochette de la Molière…
Le curé d’Allemont, Jean Dusser, est chargé de « surveiller » les
cristaillières de Maronne pour le compte du Seigneur Jean Barral,
propriétaire des mines d’Allevard. Plus tard, il veillera sur le minerai
d’argent clandestin des Chalanches.
Le curé de Villard Notre-Dame ayant examiné des cristaux trouvés à la
cristallière de la Gardette par Laurent Garden, y aurait découvert de
l’or en 1717.
Les chercheurs de cristaux sont nombreux sur le pourtour des Grandes
Rousses, le versant ouest du massif de la Meije. On se chamaille, on
s’agite, on s’accorde, on plaide. Mémoires du Bourg d’Oisans, B.
François (T1 :320-323, T2 :368, éd. De Belledonne, 1998).
Rivalités entre paysans chercheurs de cristaux et concessionnaires des mines
En 1748, le secrétaire du Châtelin de l’Oisans évoque ce litige et
alerte les consuls (maires d’alors) et les populations des communautés
d’Oisans.
En 1753, le concessionnaire Micoud adresse à l’intendant (du roi) une
plainte visant à interdire aux paysans « toute fouille de cristal de
roche à peine de 300 livres d’amende et confiscation. » Motif : les
chercheurs de cristaux ne seraient « … pas capables de conduire les
galeries,…de faire jouer la mine, négligeant leur récoltes. » Plainte
reçue, ordonnance décrétée par l’intendant du Parlement.
Habitants, consuls et châtelain en appellent au seigneur de l’Oisans,
Duc de Villeroy, descendant de Lesduiguières. Ils obtiennent, le 28
juin 1763, que les concessionnaires s’engagent à « … laisser aux
habitants de la terre d’Oisans la liberté de travailler à l’extraction
du cristal … conformément au privilège dont ont joui sans interruption
les habitants du mandement (de l’Oisans) depuis d’abdication faite par
les seigneurs dauphins. » (1340).
Le règlement de l’Etat cède à la coutume locale, l’intendant du roi
au seigneur. Ne pas confondre « minière » et « cristallière ».
Emergence d’une activité industrielle, culturelle, scientifique
Le 18ème siècle, civilisation des lumières et du progrès scientifique,
est, pour l’Oisans, l’âge de l’or (à la Gardette) et de l’argent (aux
Chalanches). Si Marie Payen, la bergère, trouve une pierre d’argent
natif en 1767, si 16 mineurs clandestins sont écrasés dans une galerie
de fortune ; la parole doit revenir aux ingénieurs.
Finis les aventuriers concessionnaires. L’Oisans est unifié par l’or
et l’argent (avec plomb ou cuivre), confiés, en 1776, à « Monsieur »
Comte de Provence, frère du roi Louis XVI, futur Louis XVIII.
L’ingénieur italien Binelli est remplacé par l’ingénieur Johann
Gottfried Schreiber né en Saxe en 1746, modeste mineur de Freigerg,
ingénieur expert, savant minéralogiste et homme de terrain.
L’exploitation des Chalanches (1777-1792), de la Gardette (1781-1787)
sera un succès malgré les incertitudes de la mine d’or. Il faut lire,
d’Alexis Chermette, l’or et l’argent, aventures d’un minéralogiste au
XVIIIémé siècle (Presses universitaires de Grenoble, 1981)
Autour de Schreiber minéralogiste, se pressent, après l’académicien
et explorateur Guettard, les savants minéralogistes Dhellancourt, de
Bournon, Romé de Lisle, Haüy qui découvrent et identifient les nouveaux
minéraux de l’Oisans : axinite, épidote, préhnite, anatase, sphène,
chrictonite des fentes alpines… et avec l’argent, les dérivés de nickel,
cobalt antimoine, arsenic, mercure.
Autour de Schreiber collectionneur, se pressent Faujas de St Fond, le
chevalier de Sayve (ami du savant De Saussure qui se prépare à gravir
le Mont Blanc) et le célèbre Père Angélique, moine Récollet du Bourg
d’Oisans, autodidacte, fondateur d’un musée local. Les Cabinets
d’histoire naturelle sont en vogue parmi les gens du monde. Parmi les
voyageurs, Collaud de la Salcette, avocat au Parlement de Grenoble
traverse l’Oisans, visite le musée du Père Angélique, rencontre dans la
combe de Malleval un colporteur qui va vendre en Russie des minéraux de
l’Oisans. Nous sommes en 1784.
Le savant botaniste Dominique Villars et le savant minéralogiste
Guettard se sont déjà rencontrés sur le chemin périlleux de St
Christophe en 1777.
Cristalliers et guides de montagne
De Saussure avait déjà situé les futurs guides d’alpinisme parmi les
cristalliers et les chasseurs de chamois. Comment s’étonner que les
savants et minéralogistes en Oisans ne fassent pas appel aux chercheurs
de cristaux de ces montagnes ?
Emile Gueymard, successeur de Schreiber, s’est probablement
approvisionné en minéraux d’étude auprès de ces montagnards de l’Oisans.
Il ne put réaliser son projet d’une Ecole des Mines et d’un musée
minéralogique à Allemont-La Fonderie. Mais il peut être considéré comme
le rassembleur des collections connues pour fonder, au milieu du 19ème
siècle, le Muséum d’Histoire Naturelle de Grenoble.
Alfred Lacroix, du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, viendra
s’approvisionner, en compagnie de Napoléon Albertazzo du Bourg d’Oisans,
explorateur des parois du Cornillon, de la Balme d’Auris, des rochers
de l’Armentier, du Vallon de la Selle, délaissant le métier de guide à
ses collègues : Pierre Gaspard de St Christophe et ses fils, Antoine
Giraud Lézin de Villard d’Arène, Louis Faure et peut-être
Emile Pic de la Grave, guide du géologue Pierre Termier. La
monumentale étude en 5 volumes de la Minéralogie de la France de Lacroix
devra beaucoup à Napoléon Albertazzo (1842-1895) et aux autres guides
cristalliers.
Guide et chasseur de chamois, guide et cristallier sont comme
inséparables à l’âge d’or de l’alpinisme. D’abord « gagne-pain », la
recherche des cristaux devient passion, signe d’identité montagnarde,
coutume. Le cristal est un patrimoine quasiment sacré.
Sous le signe du cristal
Pourquoi le Bourg d’Oisans n’aurait-il pas mérité d’adopter le cristal
pour emblème, selon le vœu de la municipalité de Roland Martin qui
fondait, en 1986, le grand Musée de la Faune et des cristaux sis
au-dessus de la voûte de l’église restaurée par la précédente
municipalité de Frédérique Puissant ?
L’influence de Schreiber authentifiant la mine d’or de l’ancienne
cristallière de la Gardette, celle des anciens cristalliers et des
minéralogistes célèbres, du Pères Angélique et de ces cailloux, de
Lacroix et d’Albertazzo nous font oublier les anciennes mines d’or et
d’argent et leur reprises sporadiques.
Plus tard vient Jean-Paul Genevois, mort accidentellement sur la
route de la Gardette le 15 septembre 1984. Son père avait travaillé pour
la survie de la concession Lancesseur. Dans les vitrines de la salle
familiale de l’hôtel de la Gare, devenue aujourd’hui « Relais du Père
Gaspard », successeur des cristalliers de jadis et du Père Angélique,
Jean-Paul avait lui aussi un relais : son musée.
Un chercheur et marchand de minéraux, Michel Legros, avait en 1975
fondé, au Bourg d’Oisans, une Bourse aux Minéraux appelée à connaître un
réel succès à cause des richesses minéralogiques de l’Oisans et de
retombées touristiques intéressantes. Dernière et 27ème édition en 2001.
Dans ce pays d’Oisans, le collectivisme n’est pas le point fort ; les
individualités sont tenaces. Bénévoles, nous participons à la foire aux
cailloux, mais hors de tout club, étant donné le caractère
confidentiel, voire secret d’une recherche en petites équipes…
Avec le maire d’alors, Henri Belin, les animateurs de la maison des
Jeunes, comme les frères Bruno et André Turc descendants du fameux
Joseph Turc le Zouave, neuveu du Père Gaspard, passionnée par les
coutumes et les traditions de leurs villages (on les a trop oublié),
avec l’Office du Tourisme dirigé par Jean Ginet, avec un collectionneur
passionné de l’Oisans, membre du Club de Chamonix, Adrien Turc Baron,
et, obligatoirement Jean-Paul Genevois et son copain Minet, nous pensons
que les cailloux sont tout de même une « affaire de pays ».
Et nous avons fondé, en 1980, l’Association Nature, Minéralogie et
Tradition populaires de l’Oisans. Pour bien marquer que notre passion
des cristaux n’était pas mercantile, mais culturelle, amicale et locale.
Nous proposons aux maires de l’Oisans une convention auto-réglementée.
Seules résultats : quelques arrêtés municipaux.
L’obligation de s’associer comme pour la chasse n’existe pas.
Toutefois, nous réussissons, avec les recettes de la Bourse aux Minéraux
et l’achat d’échantillons nouveaux, à réaliser un petit musée « Arts et
traditions de l’Oisans ». Nous avons même émis l’idée de confier, aux
chercheurs et collectionneurs de cristaux locaux, l’ouverture et la
protection d’une géode dans la mine de la Gardette.
« Trop idealiste » nous est-il répondu.
Il était dommage que nous n’ayons pas connu le scientifique approprié
Bernard Poty qui rédigeait, avec l’aide de quelques guides cristalliers
de Chamonix, une thèse intitulée « Sur la croissance des cristaux de
quartz dans les filons de la Gardette et du Massif du Mont-Blanc »
(Bernard Poty, 1967).
Nous avons beaucoup manqué de communication, par exemple avec Jacques
Geffroy qui connut le savant Alfred Lacroix. L’intervention d’un homme
du patrimoine, Monsieur Jean Guibal, parlait de « la vraie noblesse des
cristalliers parmi les montagnards ». Mais c’était pendant le triste
épisode de 2005.
Nous avons eu, parmi les cristalliers, notre « facteur Cheval des
cailloux », perdu dans les neiges de l’Alpe d’Huez. Il ne pouvait pas
ériger son « palais idéal », mais au fil des tournées, au temps de
l’élargissement de la route olympique de 1968, il protégeait ses
cristaux en les scellant au manteau de sa cheminée. Art primitif du
facteur Maurice Roche.
L’actuel musée fut inauguré en fanfare par un ministre, avec la
présence de la prestigieuse collection louée du 1er juin au 15 septembre
1987 : « Les plus beaux Minéraux du Monde pour Strasbourg : bijoux,
cailloux, fous ». Adrien Turc Baron avait découvert cette occasion lors
d’une tournée de collectionneur. Le Parc National des Ecrins devait
jouer un rôle apprécié dans le contenu et la présentation des
collections. Il confiait à Denis Fiat, adjoint à la culture du Bourg
d’Oisans, cette mission.
Histoire naturelle : des cristaux et des hommes
Durer c’est progresser. Il fallut faire appel aux cristalliers locaux
qui prêtèrent gracieusement et longuement leurs plus beaux échantillons.
L’apport le plus important est dû à la Municipalité et Bernard Chollet
qui achetait, pour un prix assez concidérable, la « collection Meil ».
Cet ancien mineur de la Mure, associé à Chincholle, Astier et quelques
autres, avait extrait les cristaux des gîtes du Cornillon, du Rocher de
l’Armentier et de la Gardette, exploitée pendant l’hiver 1990.
Cette acquisition complétait la cession de la trouvaille d’un
exceptionnel ensemble de cristaux de chalcopyrite sur un lit de cristal
de roche de la faille à Giraud extrait avec perspicacité et labeur par
deux compères du Bourg qui auraient pu conter sa mise à jour. Mais ils
n’oseraient pas dire comme Guillaumet sauvant sa peau dans la Cordillère
des Andes : « Ce que j’ai fait, jamais une bête ne l’aurait fait ». Et
ils ne seraient pas les seuls. Telle est la volonté passionnée des
cristalliers de l’Oisans qui ne confondront jamais pillage mercantile et
conservation « pour donner à voir ».
Un musée n’est pas seulement un ensemble d’échantillons d’un prix
estimé, mais d’une valeur patrimoniale, un sanctuaire d’histoire
naturelle englobant « des cristaux et des hommes ». Chaque construction
cristalline exposée devrait conter son histoire, sa genèse dans le
ventre de la terre et de la roche, son extraction dans la perspicacité
et souvent la douleur.
Cela n’a pas de prix.
A l’occasion du 20ème anniversaire, une exposition temporaire de 15
panneaux, sur le thème « Des cristaux et des hommes », réalisés par
Frédérique Delporte et Géopolis, a été disposée parmi les collections
minéralogiques de l’étage supérieur du Musée.
Il ne faut pas oublier la section faune remarquablement mise en scène
par la commune du Bourg d’Oisans, avec le concours du Parc National des
Ecrins. Le noyau de cette collection remonte à l’acquisition d’une
exposition créée au Col du Lautaret par Jean Bouvet de Saint-Pierre
d’Albigny, chasseur passionné et connaisseur averti en matière de faune
alpine. Qu’il nous soit permis de signaler ses ouvrages : Des chamois
parmi les hommes, éd. Attinger, et Coq noir – La chasse au coq de
bruyère, éd Crépin Leblond.
Depuis, les acquisitions se sont multipliées.
Mais l’univers animal de nos montagnes est toute une histoire.
Il ne faut pas oublier non plus les familles Genevois et Turc Baron
qui ont déposé, au Musée, les témoignages de nos deux collectionneurs
disparus.
L’auteur de ces lignes remercie le Bulletin Coutumes et Traditions de
l’Oisans d’avoir publié un premier texte provisoire soumis à Bernard
François, Président de l’Association.
Roger Canac
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